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Les Amours 201 - 221 - ZaunköniG - 28.11.2012 CCI Comme on souloit si plus on ne me blasme D'estre tousjours lentement otieux, Je t'en ren grace, heureux trait de ces yeulx, Qui m'ont parfait l'imparfait de mon ame. Ore l'esclair de leur divine flamme, Dressant en l'air mon vol audacieux Pour voir le Tout, m'esleve jusqu'aux cieux, Dont ici bas la partie m'enflamme. Par le moins beau, qui mon penser aisla, Au sein du beau mon penser s'en vola, Epoinçonné d'une manie extreme: Là, du vray beau j'adore le parfait, Là, d'otieux actif je me suis fait, Là je cogneu ma maistresse et moy-mesme. CCII Brave Aquilon, horreur de la Scythie, Le chassenue, et l'ebranlerocher, L'irritemer, et qui fais approcher Aux enfers l'une, aux cieux l'autre partie: S'il te souvient de la belle Orithye, Toy de l'hiver le plus fidele archer, Fais à mon Loyr ses mines relascher, Tant que Madame à rive soit sortie. Ainsi ton front ne soit jamais moyteux; Et ton gosier horriblement venteux, Mugle tousjours dans les cavernes basses, Ainsi les braz des chesnes les plus vieux, Ainsi la terre, et la mer, et les cieux, Tremblent d'effroy quelque part où tu passes. CCIII Soeur de Paris, la fille au roy d'Asie, A qui Phebus en doubte fit avoyr Peu cautement l'aiguillon du scavoyr, Dont sans proffit ton ame fut saisie, Tu variras vers moy de fantaisie, Puis qu'il te plaist (bien que tard) de vouloyr Changer ton Loyre au sejour de mon Loyr, Voyre y fonder ta demeure choysie. En ma faveur le ciel te guide ici, Pour te montrer de plus pres le souci Qui peint au vif de ses couleurs ma face. Vien Nymphe vien, les rochers et les boys Qui de pitié s'enflamment soubz ma voix, De leurs souspirs eschauferont ta glace. CCIV L'or crespelu, que d'autant plus j'honore, Que mes douleurs s'augmentent de son beau, Laschant un jour le noud de son bandeau, S'esparpilloyt sur le sein que j'adore: Mon cuoeur, helas, qu'en vain je r'appelle ore, Vola dedans, ainsi qu'un jeune oyseau, Qui s'enfueillant dedans un arbrisseau, De branche en branche à son plaisir s'essore: Lors que voyci dix beaux doigtz ivoyrins, Qui ramassantz ses blondz filetz orins Pris en leurs retz esclave le lierent. J'eusse crié, mais la peur que j'avoys; Gela mes sens, mes poumons, et ma voix, Et ce pendant le cuoeur ils me pillerent. CCV L'homme est vraiment ou de plomb ou de bois S'il ne tressaut de creinte et de merveille Quand face à face il voit ma nompareille, Ou quand il oit les acors de sa vois. Ou quand, pensive, aus jours des plus beaus mois La voit à part (comme un qui se conseille) Tracer les prés, et d'une main vermeille Trier de ranc les fleurettes de chois: Ou quand l'Esté, lors que le chaut s'avale, Au soir, à l'huis, il la voit, qu'elle égale La soie à l'or d'un pouce ingenieus: Puis de ses dois, qui les roses effacent, Toucher son luc, et d'un tour de ses yeus Piller les coeurs de mile hommes qui passent. CCVI Avec les fleurs et les boutons éclos Le beau printans fait printaner ma peine, Dans chaque nerf, et dedans chaque veine Soufflant un feu qui m'ard jusques à l'os. Le marinier ne conte tant de flos, Quand plus Borée horrible son haleine, Ni de sablons l'Afrique n'est si pleine, Que de tourmens dans mon coeur sont enclos. J'ai tant de mal, qu'il me prendroit envie Cent fois le jour de me trancher la vie, Minant le fort où loge ma langueur, Si ce n'estoit que je tremble de creinte Qu'apres la mort ne fust la plaïe éteinte Du coup mortel qui m'est si dous au coeur. CCVII Si blond, si beau, comme est une toyson Qui mon dueil tue, et mon plaisir renforce, Ne fut onq l'or, que les toreaux par force, Au champ de Mars donnerent à Jason. De ceulx, qui Tyr ont esleu pour maison, Si fine soye en leur main ne fut torse. Ny mousse encor ne revestit escorse, Si tendre qu'elle en la prime saison. Poyl folleton, où nichent mes liesses, Puis que pour moy tes compagnons tu laisses Je sen ramper l'esperance en mon cuoeur: Courage Amour, desja la ville est prise, Lors qu'en deux partz, mutine, se devise, Et qu'une part se vient rendre au vainqueur. CCVIII D'une vapeur enclose soubz la terre, Ne s'est pas fait cest esprit ventueux. Ny par les champs le Loyr impetueux De neige cheute à toute bride n'erre. Le prince Eole en ces moys ne deterre L'esclave orgueil des vents tumultueux, Ny l'Ocean des flotz tempestueux De sa grand clef les sources ne desserre. Seulz mes souspirs ont ce vent enfanté, Et de mes pleurs le Loyr s'est augmenté, Pour le depart d'une beaulté si fiere: Et m'esbays, de tant continuer: Souspirs et pleurs, que je n'ay veu muer Mon cuoeur en vent, et mes yeulx en riviere. CCIX Je suis, je suis plus aise que les Dieus Quand maugré toi tu me baises, Maîtresse: De ton baiser la douceur larronnesse Tout éperdu m'envole jusque aus cieus. Quant est de moi, j'estime beaucoup mieus Ton seul baiser, que si quelque Déesse, En cent façons doucement tenteresse, M'acoloit nu d'un bras delicieus. Il est bien vrai, que tu as de coutume D'entremeller tes baisers d'amertume, Les donnant cours, mais quoy? je ne pourrois Vivre autrement, car mon ame, qui touche Tant de beautés, s'enfuiroit par ma bouche, Et de trop d'aise en ton sein je mourrois. CCX Telle qu'elle est, dedans ma souvenance Je la sen peinte, et sa bouche, et ses yeus, Son dous regard, son parler gratieus, Son dous meintien, sa douce contenance. Un seul Janet, honneur de nostre France, De ses craïons ne la portrairoit mieus, Que d'un Archer le trait ingenieus M'a peint au coeur sa vive remembrance. Dans le coeur donque au fond d'un diamant J'ai son portrait, que je suis plus aimant Que mon coeur mesme. O sainte portraiture, De ce Janet l'artifice mourra Frapé du tans, mais le tien demourra Pour estre vif apres ma sepulture. CCXI Amourette Petite Nymphe folastre, Nymphette que j'idolatre, Ma mignonne dont les yeulx Logent mon pis et mon mieux; Ma doucette, ma sucrée, Ma Grace, ma Cytherée, Tu me doibs pour m'apaiser Mille fois le jour baiser. Avance mon cartier belle, Ma tourtre, ma colombelle, Avance moy le cartier De mon payment tout entier. Demeure, où fuis tu Maistresse? Le desir qui trop me presse, Ne sçauroit arrester tant S'il n'a son payment contant. Revien revien mignonnette, Mon doulx miel, ma violete, Mon oeil, mon cuoeur, mes amours, Ma cruëlle, qui tousjours Treuves quelque mignardise, Qui d'une doulce faintise Peu à peu mes forces fond, Comme on voyt dessus un mont S'escouler la neige blanche: Ou comme la rose franche Pert le pourpre de son teint Du vent de la Bise atteint. Où fuis-tu mon âmelete? Mon diamant, ma perlete? Las, revien, mon sucre doulx, Sur mon sein, sur mes genoux, Et de cent baisers apaise De mon cuoeur la chaulde braise. Donne m'en bec contre bec, Or un moyte, ores un sec, Ore un babillard, et ores Un qui soit plus long encores Que ceulx des pigeons mignards, Couple à couple fretillards, Hà là! ma doulce guerriere, Tire un peu ta bouche arriere, Le dernier baiser donné A tellement estonné De mille doulceurs ma vie, Qu'il me l'a presque ravie, Et m'a fait veoir à demi Le Nautonnier ennemi Et les pleines où Catulle, Et les rives où Tibulle Paz à paz leur promenant', Vont encores maintenant De leurs bouchettes blesmies Rebaisotans leurs amies. CCXII Des Grecs marris l'industrieuse Helene, Et des Troïens ouvrageoit les combas: Dessus ta gaze en ce point tu t'ebas, Traçant le mal duquel ma vie est pleine. Mais tout ainsi, maitresse, que ta leine D'un filet noir figure mon trespas, Tout au rebours, pourquoi ne peins-tu, las! De quelque verd un espoir à ma peine? Las! je ne voi sur ta gaze rangé Sinon du noir, sinon de l'orangé, Tristes témoins de ma longue soufrance. O fier destin, son oeil ne me defait Tant seulement, mais tout ce qu'elle fait Ne me promet qu'une desesperance. CCXIII Mon Dieu, que j'aime à baiser les beaus yeus De ma maitresse, et à tordre en ma bouche De ses cheveus l'or fin qui s'écarmouche Si gaïement dessus deus petis cieus. C'est, Amour, c'est ce qui lui sied le mieus Que ce bel oeil, qui jusqu'au coeur me touche, Et ce beau poil, qui d'un Scythe farouche Prendroit le coeur en ses nous gracieus, Ce beau poil d'or, et ce beau chef encore De leurs beautés font vergoigner l'Aurore, Quand plus crineuse elle embellit le ciel. Et dans cet oeil je ne sai quoi demeure, Qui me peut faire à toute heure, à toute heure, Le sucre fiel, et riagas le miel. CCXIV L'arc contre qui des plus braves gendarmes Ne vaut l'armet, le plastron, ni l'escu, D'un si dous trait mon courage a veincu, Que sus le champ je lui rendi les armes. Comme apostat je n'ai point fait d'alarmes, Depuis que serf sous Amour j'ai vescu, Ni n'eusse peu, car, pris, je n'ai onq eu Pour tout secours, que l'aide de mes larmes. Il est bien vrai qu'il me fache beaucoup D'estre defait, mesme du premier coup, Sans resister plus long tans à la guerre: Mais ma defaite est digne de grand pris, Puis que le Roi, ains le dieu, qui m'a pris, Combat le Ciel, les Enfers, et la terre. CCXV Cet oeil besson dont, goulu, je me pais, Qui fait rocher celui qui s'en aprouche, Ore d'un ris, or d'un regard farouche Nourrit mon coeur en querelle et en pais. Pour vous, bel oeil, en soufrant, je me tais, Mais aussi tôt que la douleur me touche, Toi, belle sainte, et angelique bouche, De tes douceurs revivre tu me fais. Bouche, pourquoi me viens-tu secourir, Quand ce bel oeil me force de mourir? Pourquoi veus-tu que vif je redevienne? Las! bouche, las! je revis en langueur, Pour plus de soin, à fin que le soin vienne Plus longuement se paître de mon coeur. CCXVI Depuis le jour que mal sain je soupire, L'an dedans soi s'est roüé par set fois. (Sous astre tel je pris l'hain) toutefois Plus qu'au premier ma fievre me martire: Quand je soulois en ma jeunesse lire Du Florentin les lamentables vois, Comme incredule alors je ne pouvois, En le moquant, me contenir de rire. Je ne pensoi, tant novice j'étoi, Qu'home eut senti ce que je ne sentoi, Et par mon fait les autres je jugeoie. Mais l'Archerot qui de moi se facha, Pour me punir, un tel soin me cacha Dedans le coeur, qu'onque puis je n'eus joïe. CCXVII Mets en obli, Dieu des herbes puissant, Le mauvais tour que non loin d'Hellesponte Te fit m'amie, et vien d'une main pronte Garir son teint palement jaunissant. Tourne en santé son beau cors perissant, Ce te sera, Phebus, une grand'honte, Sans ton secours, si la ledeur surmonte L'oeil qui te tint si long tans languissant. En ma faveur si tu as pitié d'elle, Je chanterai comme l'errante Dele S'enracina sous ta vois, et comment Python sentit ta premiere conqueste, Et comme Dafne aus tresses de ta teste Donna jadis le premier ornement. CCXVIII Bien que ton trait, Amour soit rigoureus, Et toi rempli de fraude, et de malice, Assés, Amour, en te faisant service, Plus qu'on ne croit, j'ai vescu bienheureus. Car cette-là, qui me fait langoureus, Non, mais qui veut, qu'en vain je ne languisse, Hier au soir me dit, que je tondisse De son poil d'or un lien amoureus. J'eu tant d'honneur, que de son ciseau mesme Je le tranchai. Voiés l'amour extrême, Voiés, Amans, la grandeur de mon bien. Jamais ne soit qu'en mes vers je n'honore Ce dous ciseau, et ce beau poil encore, Qui mon coeur presse en un si beau lien. CCXIX Si hors du cep où je suis arresté, Cep où l'Amour de ses flesches m'encloue, J'eschape franc, et du ret qui m'ennoue Si quelquefoys je me voy desreté: Au coeur d'un pré loing de gents escarté, Que fourchument l'eau du Loyr entrenoue, De gazons verdz un temple je te vouë, Heureuse, saincte et alme Liberté Là, j'appendray le soing, et les ennuiz, Les faulx plaisirs, les mensonges des nuictz, Le vain espoyr, les souspirs, et l'envie: Là touts les ans je te pairay mes voeux, Et soubz tes pieds j'immoleray cent boeufz, Pour le bienfaict d'avoyr saulvé ma vie. CCXX Veu la douleur qui doulcement me lime, Et qui me suit compaigne, paz à paz, Je congnoy bien qu'encor je ne suis pas, Pour trop aymer, à la fin de ma ryme. Dame, l'ardeur qui de chanter m'anime, Et qui me rend en ce labeur moins las, C'est que je voy qu'aggreable tu l'as, Et que je tien de tes pensers la cyme. Je suis vrayment heureux et plusque heureux, De vivre aymé et de vivre amoureux De la beaulté d'une Dame si belle: Qui lit mes vers, qui en fait jugement, Et qui me donne à toute heure argument De souspirer heureusement pour elle. CCXXI J'alloy roullant ces larmes de mes yeulx, Or plein de doubte, ores plein d'esperance Lors que Henry loing des bornes de France, Vangeoyt l'honneur de ses premiers ayeulx, Lors qu'il trenchoyt d'un bras victorieux Au bord du Rhin l'Espaignolle vaillance, Ja se trassant de l'aigu de sa lance, Un beau sentier pour s'en aller aux cieulx. Vous saint troupeau, qui dessus Pinde errez, Et qui de grace ouvrez, et desserrez Voz doctes eaux à ceulx qui les vont boyre: Si quelque foys vous m'avez abreuvé, Soyt pour jamais ce souspir engravé, Dans l'immortel du temple de Memoyre. |